Le Collège Jean-de-Brébeuf et la Grande Dépression

Lorsque les jésuites reviennent au Canada au début des années 1840, ils répondent entre autres à l’invitation de l’évêque de Montréal, Mgr Bourget, qui rêve d’un nouveau collège pour desservir la population catholique de la ville. L’éducation, en effet, est une mission fondamentale et un domaine d’expertise séculaire de la Compagnie de Jésus. Avec cette série, nous partageons avec vous quelques histoires dénichées dans les fonds d’archives des collèges fondés par les jésuites.


Collège Jean-de-Brébeuf [194-?]. GLC C-6.103.19.1

Le 24 octobre 1929, le krach de la bourse de New York marque le début de la Grande Dépression. Durant les années 1930, la crise se propage à travers le monde et le Québec n’échappe pas à la tempête. Le Collège Jean-de-Brébeuf, fondé à peine un an auparavant, ne fait pas exception, comme en témoignent les traces laissées par crise dans les documents d’archives.

Les inquiétudes liées à la crise

Lors de la consulte du 3 septembre 1932, la lecture des états financiers est l’occasion de faire un bilan des quatre premières années d’activités du Collège. En matière de dépenses, l’heure est à la prudence :

Le P. Ministre trouve raisonnable cette sévérité vu la dette énorme du Collège, la crise économique pouvant se prolonger, les dépenses faites pour rendre le Collège très attrayant et aussi vu la perspective de la construction de la salle académique ne pouvant être entreprise qu’après une notable réduction de la dette.

Registre des consultes, 3 septembre 1932. GLC C-6.S1.SS4.2.1.1.1

Le registre des consultes du Collège Jean-de-Brébeuf

La consulte est une instance habituellement composée de trois ou quatre membres d’expérience du personnel jésuite, chargés de conseiller le recteur sur diverses questions relatives au fonctionnement du Collège. De 1928 à 1968, les consulteurs se rencontrent à fréquence variable – environ une ou deux fois par mois pendant l’année scolaire – et les comptes-rendus de ces réunions sont consignés dans un grand registre.

On y discute entre autres de gestion des ressources matérielles ainsi que d’enjeux légaux, pédagogiques et disciplinaires. Entre mars et juillet 1934, ce sont toutefois les questions de nature financière qui occupent surtout les consulteurs.

Le 3 juin 1934, on s’inquiète notamment de la baisse de fréquentation du Collège :

La diminution des élèves, avec les arrérages, complique le problème de nos finances. Que faire pour attirer des élèves ou ne pas perdre ceux qui se présentent? – Évidemment le coût élevé de la pension effraie plusieurs parents, serait-il à propos de casser nos prix? 

Registre des consultes, 3 juin 1934. GLC C-6.S1.SS4.2.1.1.1

Des impacts dans le quotidien des élèves et de la communauté jésuite du Collège

Afin de se prémunir contre la crise, les consulteurs proposent diverses solutions. Le 19 janvier 1932, le registre rapporte une décision de la consulte afin d’alléger le budget. Il n’y a pas de petites économies et les sacrifices passent par la privation de boissons gazeuses… et de ketchup!

2.- Pour se conformer à la circulaire du T.R.P. Général, faisant appel, en ces temps de grandes misères, à une économie plus sérieuses, en vue d’aider les pauvres et de soulager le budget de chaque maison, voici la décision de la consulte: 1) supprimer la sauce aux tomates en bouteille. 2) " le petit verre de vin aux jours de campagne et de fête des BB. 3) supprimer les eaux gazeuses, excepté l’eau minérale. 4) " les 3e classe. 5) les fêtes de 1e et 2e descendent d’un cran. 6) l’économie sur le beurre a été ratée.
Registre des consultes, 19 janvier 1932. GLC C-6.S1.SS4.2.1.1.1

Le 2 mars 1933, les consulteurs s’opposent pour des raisons similaires à l’installation d’une nouvelle fournaise qui permettrait de fournir de l’eau chaude pendant les vacances.

Est-il avantageux d’installer une nouvelle fournaise pour fournir l’eau chaude des vacances? Toujours pour raison d’économie tous se prononcent contre cette installation. Pendant le temps du ménage jusqu’au 15 juillet environ nous nous servirons de la fournaise à vapeur et ensuite nous nous contenterons de la petite fournaise installé près de l’ascenseur de la résidence.

Registre des consultes, 2 mars 1933. GLC C-6.S1.SS4.2.1.1.1

Si ces mesures concernent d’abord et avant tout les membres de la communauté jésuite, d’autres entraînent aussi des conséquences sur la vie des élèves. Le 1er juin 1933, les consulteurs proposent par exemple de supprimer, à cause de la crise, la remise des prix des jeux, une cérémonie visant à honorer les exploits sportifs des étudiants. Quelques mois auparavant, le 2 mars 1933, les consulteurs s’interrogent, par souci d’économie, sur la pertinence d’imprimer le Palmarès, une publication annuelle rapportant la liste des lauréats des prix remis aux élèves méritants. Le 1er novembre 1934, ce sont les dépenses liées au conventum des élèves de Rhétorique qui sont remises en cause :

[…] portraits, bagues, banquet on aimerait à voir baisser ces frais. Le portrait et le banquet sont autorisés par la coutume, la bague l’est moins […].

Registre des consultes, 1er novembre 1934. GLC C-6.S1.SS4.2.1.1.1

La prospérité retrouvée

Les conséquences de la crise vont toutefois au-delà de ces désagréments quotidiens et retardent les projets d’agrandissement du Collège. En effet, malgré les aléas de la crise, la fréquentation demeure élevée et le besoin d’ajouter des locaux supplémentaires, dont une salle académique, une bibliothèque plus vaste et un gymnase, se fait sentir dès les premières années. Ce n’est toutefois qu’en 1956, à la faveur de la prospérité d’après-guerre et d’une importante campagne de souscription menée par le Collège, qu’un premier pas vers cet objectif est franchi avec le début des travaux de construction d’une nouvelle annexe, le pavillon Lalemant.

Brochure promotionnelle pour la campagne de souscription visant à recueillir des fonds pour la construction du pavillon Lalemant, 1955.
GLC C-6.S3.SS2.2.2.2.3

Les AJC conservent le fonds d’archives du Collège Jean-de-Brébeuf, de sa fondation par la Compagnie de Jésus en 1928 jusqu’à la cession de sa gestion à une corporation laïque en 1986. Pour en savoir plus, consultez sa fiche descriptive dans notre catalogue.