Les jésuites et la science
Jésuites du Canada et observatoires scientifiques
Dès la fin du 19e siècle et tout au long du 20e siècle, les jésuites construisent des observatoires à travers le monde afin d’étudier les sciences émergentes comme la météorologie, la sismologie et le géomagnétisme. Plusieurs de ces observatoires font partie de missions jésuites, dont celles en Chine, aux Philippines et en Éthiopie. Les jésuites y sont souvent les premiers à établir un réseau de communication concernant les tremblements de terre et un système de prévention pour la population locale. D’autres observatoires qui voient le jour en Amérique du Nord permettent l’analyse à distance des séismes et des microséismes.
Comme leurs pairs à l’international, les jésuites du Canada participent à l’essor de ces sciences. Cette exposition propose un parcours de trois observatoires fondés et dirigés par des jésuites de la Province du Canada : l’Observatoire sismologique du Collège de Saint-Boniface (Manitoba), l’Observatoire de géophysique du Collège Jean-de-Brébeuf, à Montréal, et l’Observatoire de géophysique d’Addis-Abeba (Éthiopie). L’exposition survole par ailleurs l’impressionnante carrière d’Ernesto Gherzi, s.j., dont le parcours est à l’image du tournant qui marque le domaine de la recherche scientifique au début du 20e siècle.
Les Archives des jésuites au Canada conservent les fonds d’archives de scientifiques jésuites ayant pris part au développement de ces observatoires, ainsi que des collèges auxquels ils sont rattachés. Les publications, documents textuels et photographies inclus dans ces fonds témoignent de la contribution des jésuites au domaine de la géophysique, ainsi que de l’importance de l’enseignement des sciences dans les collèges jésuites canadiens. Un guide de recherche disponible sur notre site web recense les fonds utiles à l’étude de ces questions.
Crédits:
Conception, recherche et rédaction des textes:
Dominique Robb (Stagiaire Jeunesse Canada au Travail, 2020-2021) et l’équipe des AJC
Numérisation: Christiane Desjardins
Conception graphique: Henria Aton
Sections de l’exposition
L'Observatoire sismologique de Saint-Boniface
Joseph Blain, s.j. fonde l’Observatoire sismologique du Collège de Saint-Boniface à la suite d’un appel général lancé en 1908 par Frederick Odenbach, s.j. Le père Odenbach, alors rattaché au St. Ignatius College (Ohio), souhaitait organiser un réseau d’observatoires sismologiques dans les collèges jésuites.
Né à Saint-Rémi-de-Napierville (Québec), Joseph Blain, s.j. (1859-1925) fait partie de la première cohorte d’enseignants jésuites qui prennent la direction du Collège de Saint-Boniface (Manitoba) en 1885. Il y enseigne la grammaire, les belles-lettres et la rhétorique jusqu’en 1890, puis y revient en 1898, après avoir complété sa formation, en tant que préfet des études et professeur de sciences.
Selon la recommandation du père Odenbach, le père Blain acquiert le sismographe allemand Wiechert en 1910. Un article dans Le Manitoba annonce les premières utilisations de ce sismographe, le premier dans l’Ouest canadien, dès le mois de janvier de cette année. Le père Blain enregistre alors des tremblements de terre qui ont lieu dans le monde, dont à Montréal, à Mexico, en Alaska et même en Indonésie. Il partage ensuite ces informations avec d’autres observatoires.
Le sismographe fonctionne toujours régulièrement. Les grands tremblements de terre de l’Alaska et de l’Amérique centrale ont été enregistrés dans des sismogrammes remarquables. Celui de Padang, au centre de Sumatra, nous a donné un record complet avec toutes les phases, bien que la distance du centre d’ébranlement fût à plus de dix mille milles.
La mise sur pied de l’Observatoire s’inscrit dans la mission scientifique du collège à cette époque. Le père Blain établit, dans le même esprit, un cabinet de physique et un laboratoire de chimie. Vers 1915, l’installation d’une lunette astronomique sur le toit de l’école contribue par ailleurs à enrichir la matière du cours d’astronomie.
Le père Blain quitte Saint-Boniface en 1920 pour enseigner au Collège des jésuites d’Edmonton. Deux ans plus tard, un incendie consume l’entièreté du Collège de Saint-Boniface, causant d’importantes pertes humaines et matérielles, incluant les instruments scientifiques. Le Collège déplace ses activités dans le bâtiment du Petit séminaire, mais l’Observatoire n’est pas réinstauré.
Membre fondateur de la Société historique de Saint-Boniface et membre de la branche locale de la Société royale d’astronomie, Joseph Blain, s.j. donne des conférences sur la sismologie et l’astronomie. Il participe également à plusieurs expéditions du club d’histoire et d’archéologie du Collège de Saint-Boniface, dont celle qui mène à la découverte en 1908 du site de la dernière expédition de La Vérendrye (1736).
L'Observatoire de géophysique de Brébeuf
Muni d’un sismomètre et d’un enregistreur, Maurice Buist, s.j. fonde et dirige l’Observatoire de géophysique du Collège Jean-de-Brébeuf dès 1955. Le météorologue Ernesto Gherzi, s.j. se joint rapidement à l’équipe en tant que directeur des recherches.
Les recherches entreprises à l’Observatoire sont axées sur la sismologie et la radio-météorologie. Durant les années 1960, l’Observatoire de Brébeuf est la station sismologique la mieux équipée au Canada. Il communique régulièrement ses enregistrements au département de géophysique du gouvernement fédéral. L’Observatoire maintient également de nombreux contacts internationaux à travers sa publication, le Bulletin de géophysique, dirigée par le père Buist jusqu’en 1983.
Au fil des décennies, l’Observatoire accueille d’autres chercheurs jésuites. De retour d’Éthiopie, Émile Cambron, s.j. collabore brièvement avec le père Gherzi en 1972. En 1978, après avoir enseigné la physique et la chimie à Ziguinchor (Sénégal), Paul-Émile Tremblay, s.j. y travaille quelques années comme collaborateur puis comme directeur adjoint. En 1984, il succède à Buist en tant que directeur et conserve cette fonction jusqu’en 1997. Tremblay est le dernier directeur jésuite de l’Observatoire. Pierre Gouin, s.j. se joint à l’équipe de 1986 à 2004 pour se consacrer à l’étude des tremblements de terre historiques du Québec.
Les pères Buist, Cambron, Gouin et Tremblay ont aussi enseigné les sciences (physique, chimie, mathématiques) au Collège Jean-de-Brébeuf. Cette implication témoigne de l’importance de la science dans la mission éducative du collège.
L’Observatoire de géophysique d’Addis-Abeba
L’Observatoire de géophysique de l’University College Addis Ababa (UCAA), en Éthiopie, est fondé en 1957 par Pierre Gouin, s.j., qui en est aussi le premier directeur. Professeur de physique et de géophysique à UCAA dès 1954, le père Gouin partage son temps entre ses cours et la direction de l’Observatoire jusqu’en 1978. Émile Cambron, s.j. rejoint le père Gouin à UCAA en 1957 pour y enseigner la physique et superviser le laboratoire des sciences. Il se joint par le fait même l’équipe de l’Observatoire, où il s’occupe du volet astronomique.
Né à Sherbrooke (Québec), Émile Cambron, s.j. (1896-1978) étudie l’astronomie et la physique à l’Université de Montréal. De 1930 à 1953, il enseigne la physique et les mathématiques au Collège Sainte-Marie, où il supervise le laboratoire des sciences, qui est équipé d’un grand télescope d’observation astronomique.
Comme plusieurs grandes villes éthiopiennes, Addis-Abeba se situe dans une zone sismique à la jonction de trois failles actives. Elle se rapproche également de l’équateur magnétique de la Terre, ce qui en fait un endroit idéal pour étudier la sismologie et le géomagnétisme. Les recherches menées à l’Observatoire servent notamment à avertir la population locale des tremblements de terre imminents et à informer le gouvernement de l’infrastructure adéquate à mettre en place.
Né à Champlain (Québec), Pierre Gouin, s.j. (1917-2005) rejoint en 1946 les jésuites du Canada à l’école Tafari Makonnen à Addis-Abeba pour y enseigner les sciences. Doté d’une maîtrise en physique avec une majeure en sismologie, il retourne en Éthiopie en 1954 pour enseigner la physique et la géophysique à l’University College Addis Ababa. En 1957, il fonde et dirige l’Observatoire de géophysique d’Addis-Abeba, tout en conservant ses fonctions professorales.
En 1957, l’Observatoire qui vient tout juste d’être créé participe à l’Année géophysique internationale, à Barcelone. Ces conférences auxquelles participent plus de cinquante pays jouent un rôle-clé dans le partage des connaissances en matière de géophysique.
Le père Cambron travaille à l’Observatoire de géophysique d’Addis-Abeba dès sa fondation en 1957. En 1959, il est nommé directeur adjoint de l’Observatoire astronomique et, en 1967, professeur d’astronomie. En 1972, il rentre à Montréal où il travaille en étroite collaboration avec Ernesto Gherzi, s.j. à l’Observatoire de géophysique du Collège Jean-de-Brébeuf, jusqu’à sa retraite en 1973.
Sous la gouverne des pères Gouin et Cambron, l’Observatoire reçoit la visite de nombreux fonctionnaires, diplomates et dirigeants, dont l’empereur éthiopien lui-même, ce qui témoigne du haut niveau des recherches qui y sont menées et de la reconnaissance dont il bénéficie de la part de la communauté internationale. Au cours des années 1970, l’arrivée d’un nouveau régime en Éthiopie contraint toutefois les jésuites à quitter le pays.
Le père Gouin demeure en Éthiopie jusqu’en 1978. Entre 1979 et 1981, il fonde et dirige la section géomagnétique de l’Observatoire de Manille (Philippines). Par la suite, il enseigne la physique à l’Université Kenyatta, à Nairobi (Kenya), de 1982 à 1986. Il revient définitivement à Montréal en 1986 et travaille à l’Observatoire de géophysique du Collège Jean-de-Brébeuf.
Le père Gouin est l’auteur de Earthquake History of Ethiopia and the Horn of Africa (1979) et de Tremblements de terre « historiques » au Québec (de 1535 à mars 1925) (2004).
L'impressionnant parcours d’un scientifique de son temps : Ernesto Gherzi, s.j. (1886-1973)
Figure scientifique importante du 20e siècle, Ernesto Gherzi, s.j. a consacré sa vie à l’étude des sciences, à l’instar de plusieurs jésuites avant lui. À la fois spécialiste et homme de terrain aux multiples talents, son parcours impressionnant le mène aux quatre coins du monde. Il est à l’image du courant de professionnalisation qui marque le domaine de la science au début du 20e siècle, caractérisé par la spécialisation des champs de recherche et la multiplication des associations professionnelles aux dépens de celles qui s’adressaient auparavant aux amateurs.
Né à San Remo, en Italie, Ernesto Gherzi, s.j. entre dans la Compagnie de Jésus à Paris en 1903. Météorologue spécialisé dans l’étude des typhons, le père Gherzi travaille à l’Observatoire de Zikawei (Chine) de 1920 à 1949, dont dix ans en tant que directeur. En 1949, en revenant d’une conférence, le Parti communiste lui refuse son entrée en Chine. Il est éventuellement embauché par le gouvernement portugais de Macao pour mettre sur pied un observatoire.
Le père Gherzi arrive aux États-Unis en 1954 pour combler un poste à l’Université Saint Louis, au Missouri. Dès 1956, il divise son temps entre l’Université Loyola de La Nouvelle-Orléans et l’Observatoire du Collège Jean-de-Brébeuf, à Montréal, où il est embauché comme directeur des recherches en 1955. Il se concentre alors sur l’étude de la sismologie et de la radio-météorologie, dont les recherches sont publiées dans le Bulletin de géophysique. Le père Gherzi a été membre de plusieurs associations scientifiques internationales, dont l’Académie pontificale des sciences (1936), l’Académie des sciences de Lisbonne (1952) et l’Académie des sciences de New York (1973). Il est l’auteur de nombreuses publications, dont The Meteorology of China (1951).